Le besoin de mesurer
D’après un indice créé par le Boston Consulting Group, la bureaucratie a été en moyenne multipliée par 35 ces 60 dernières années.
« Elle résulte des réponses obsolètes à une nouvelle complexité économique qui, d’après nos analyses, a elle-même été multipliée par 6 sur la même période. L’inquiétant est que cette bureaucratie s’accompagne, toujours sur cette période, d’une division par 10 des gains de productivité » relève un associé au BCG (Art Les Echos, 21/01/2021 Trop de complexité génère bullshit management et bureaucratie).
Pierre-Yves Gomez, économiste, docteur en gestion et professeur à EMLYON Business School étudie et enseigne la stratégie et la gouvernance d’entreprise. Il évoque quant à lui la financiarisation des entreprises, qui, en se généralisant largement dans les années 80, a généré un besoin des investisseurs de disposer de remontées et d’informations sous forme d’indicateurs et de multiples reporting, visant à démontrer la mise en place toujours plus rationnelle d’une gestion au plus près des risques et des gains potentiels mais pourtant bien loin du travail réel.
Enfin, dans la même période, le « new management public » s’est inspiré des méthodes du privé pour mettre en place un système basé sur l’évaluation afin d’améliorer la performance publique.
Objectifs, indicateurs, tableaux de bord… la déshumanisation du management
Les objectifs définis au niveau du pilotage de l’entreprise sont déclinés de manière descendante jusqu’à se traduire au niveau individuel et collectif pour chacun, au sein de son collectif de travail.
- Ce principe descendant est un premier défaut : ils sont parfois mal compris, mal traduits, déconnectés du travail réel.
- Son second défaut est qu’il s’accompagne d’une batterie d’indicateurs pour définir, évaluer et récompenser les performances individuelles et collectives. Le nombre de tableaux de bord explose.
- Enfin, il en découle des modélisations et des procédures souvent éloignées du travail réel et de l’expérience des salariés. Ceux-ci se sentent infantilisés, leur logique, leur expérience et leur initiative personnelle n’étant pas sollicitées, ou pire étant parfois réprimées.
Le tout est très détaillé et même, selon certains, « maladivement précis ». (…) Les managers passent leurs journées enfermées dans leur bureau à remplir des formulaires, des tableaux de bord et n’ont plus la disponibilité d’être sur le terrain auprès de leurs collaborateurs. (extrait de « Question de management : le management par objectif à bout de souffle »).
Par ailleurs, le management par objectif a pu institutionnaliser des biais, voire des fraudes aux résultats, tant au niveau des salariés pour atteindre leurs objectifs, que des responsables hiérarchiques pour briller aux yeux de la Direction. Ces travers marquent profondément les collectifs de travail et abiment les valeurs de l’entreprise.
La motivation s’en ressent, sans parler de l’inutilité de mesurer des résultats faussés et de la non qualité engendrée !
Toutefois ces pratiques liées à la qualité, au management et au pilotage sont très structurantes. Une fois installées, il est particulièrement difficile de les faire changer.
Crise sanitaire et changement de paradigme
L’autonomie et la simplification au cœur des solutions
Le management par objectifs, avec un contrôle fort comme il était parfois appliqué, a explosé pour un temps dans les entreprises dès le début de la crise sanitaire : un grand nombre d’équipes a basculé brutalement en télétravail, sans préparation, les processus ont été par obligation allégés pour retrouver de la souplesse et de la simplicité afin de parer au plus pressé. Ce qui semblait ainsi pour certains impossible s’est réalisé en quelques semaines : les initiatives, l’autonomie, la confiance ont prouvé leur efficacité.
L’organisation et la cohésion d’équipe
L’organisation du collectif à distance est tout à fait différente de ce qu’elle était en présentiel ou avec un télétravail ponctuel, selon des schémas par ailleurs rodés.
La cohésion d’équipe a été mise à mal par les relations virtuelles, la priorisation dans les entreprises de certains métiers, la relégation d’autres fonctions ont bouleversé les équilibres établis. Les managers ont donc un grand défi dans les mois et années à venir : recréer du collectif, redonner une dynamique à des équipes par ailleurs fatiguées, dont le désengagement c’est pour certains accentué.
Les enjeux sont immenses
Aujourd’hui il semble impossible de revenir en arrière, les pratiques, ne serait-ce que par le télétravail, ont été bouleversées. Le collectif, la motivation, seront des enjeux formidables pour les années à venir et devront être au cœur des préoccupations des dirigeants et des managers. Cela passera nécessairement par un travail sur le sens de ce qui est fait, sur le travail réel. Logiquement, les indicateurs, les mesures de contrôle et de reporting devraient eux aussi être réinterrogés. Il est temps ! Ces indicateurs ne donnaient qu’une vision tronquée de la réalité, revenons à l’essentiel.